Le gouvernement français, se disant outré que des amateurs de soccer d'origine maghrébine aient sifflé La Marseillaise lors du match France-Tunisie tenu la semaine dernière à Paris, monte au créneau pour faire cesser cet affront « à toute la nation ».
À l'issue d'une rencontre tenue mercredi dernier à l'Élysée avec le président Nicolas Sarkozy, la ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, Roselyne Bachelot, a déclaré que les sifflets contre l'hymne national français entraîneraient désormais immédiatement l'arrêt du match.
Elle a ajouté qu'il n'y aurait pas de nouveaux « matchs amicaux » contre les équipes nationales des pays d'Afrique du Nord « pour une période à déterminer ».
Le secrétaire d'État aux Sports, Bernard Laporte, a surenchéri en suggérant que les matchs contre les équipes nationales des pays du Maghreb se tiennent « en province » plutôt que dans la capitale, où la concentration de ressortissants nord-africains est particulièrement élevée. Il a par la suite été désavoué par Mme Bachelot.
Ces annonces sont survenues à la suite d'une longue série d'interventions publiques des principaux ténors du gouvernement, qui manquaient de mots pour souligner leur indignation face aux sifflets au lendemain du match.
« C'est insultant pour la France, c'est insultant pour les gens de l'équipe de France, ça n'est pas tolérable », a tonné le premier ministre François Fillon.
La justice, emboîtant le pas aux élus, a annoncé l'ouverture d'une enquête « pour outrage à l'hymne national », un délit passible de 10 000 $ d'amende et de six mois d'emprisonnement.
Cette disposition avait été introduite dans le code pénal après que les amateurs présents à un match France-Algérie eurent sifflé La Marseillaise en 2001. Le même rituel s'était reproduit lors d'un match France-Maroc l'année dernière sans que des sanctions ne soient évoquées.
Le député centriste François Bayrou, toujours très critique de l'action présidentielle, a accusé Nicolas Sarkozy « d'en faire des tonnes » sur cette histoire de manière à détourner l'attention des Français de la crise financière.
Les ténors du Parti socialiste ont aussi fustigé le gouvernement, l'accusant de passer sous silence les tensions sociales qui sont, selon eux, la véritable cause des sifflets. Le député Arnaud Montebourg estime qu'ils témoignent d'une histoire coloniale « mal refermée » et du « malaise que des générations d'enfants issus de l'immigration ressentent sur notre territoire ».
En 2005, plusieurs banlieues défavorisées de Paris et d'autres grandes villes françaises comprenant une forte proportion de ressortissants africains avaient été secoués par de violentes émeutes témoignant d'un profond malaise social.
Soccer « en otage »
Le président de l'Union européenne des associations de football, Michel Platini, s'est lancé dans le débat au cours de la fin de semaine en accusant le gouvernement français de prendre le soccer « en otage ». « Il y a 30 ans, quand je jouais avec l'équipe de France, La Marseillaise était sifflée sur tous les terrains. Mais à l'époque, les politiques ne s'intéressaient pas au (soccer) et ça ne choquait personne. Aujourd'hui, c'est devenu une obligation, pour un homme politique, en fonction de son étiquette, de se positionner », a-t-il déclaré au Monde.
Les médias français, plutôt critiques de l'approche gouvernementale, remettent en question la viabilité des mesures mises de l'avant pour faire cesser les sifflets. Les amateurs réunis pour voir le match ne risqueraient-ils pas de manifester violemment en cas d'interruption ?
Le journaliste du Figaro Ivan Rioufol, auteur d'un livre sur la « fracture identitaire », salue sans retenue la volonté du gouvernement de réagir « au constant mépris d'une partie... des Français d'origine maghrébine pour le symbole de la République ».
Cette action, dit-il, répond à l'irritation d'une fraction « croissante de l'opinion face à une république se laissant impunément malmener... par certains nouveaux compatriotes ». Un sondage indique que 80 % des Français ont été « choqués » par les sifflets entendus lors du match contre la Tunisie
- La Presse