Épuisé et désillusionné, le principal porte-étendard du combat contre Rabaska entend maintenant tourner la page. Possiblement dans une lointaine contrée.
Rencontré quelques jours avant la sortie en salle, vendredi prochain, du documentaire de l'ONF La bataille de Rabaska, Yves St-Laurent dit qu'il veut «changer de vie». Il veut mettre derrière lui cet épisode «immensément frustrant» d'une cinquantaine de mois qui lui a fait perdre des contrats, mais surtout ses illusions.
Après s'être donné corps et âme pour éviter la construction d'un immense port méthanier à Beaumont, puis à Lévis, l'homme a démissionné comme porte-parole de la coalition Rabat-joie, il a vendu sa maison tricentenaire et il songe à s'installer en Italie.
«J'ai cru que ça vaudrait la peine de mener cette bataille, de passer des nuits blanches, de travailler comme un forcené, de ne pas voir mes enfants. Mais je me rends compte aujourd'hui que les dés étaient pipés, que tout était décidé d'avance. Tout ça n'a donc rien changé... C'est difficile de faire autant de sacrifices pour se rendre compte, en bout de piste, qu'on n'est rien, vraiment rien.»
Le documentaire du cinéaste Magnus Isacsson et du réalisateur Martin Duckworth raconte les quelque quatre années de lutte menée contre le projet Rabaska, particulièrement par Yves St-Laurent, sa femme et ses très jeunes enfants. La douleur que ressent la famille à chaque défaite est palpable, surtout lorsque le gouvernement Charest a donné le feu vert au projet, à l'automne 2007.
«Cela m'a levé le coeur de voir des politiciens refuser d'appuyer les citoyens dans leur bataille, confie-t-il, sous prétexte que le projet créerait des emplois. Le PQ ne nous a pas appuyés puisqu'il ne s'est jamais réellement mouillé. L'ADQ s'est dite favorable au projet, tout comme le PLQ.»
Mais à ses yeux, «le plus grand scandale» de toute cette histoire est certainement la réaction du promoteur au référendum mené à Beaumont, en décembre 2004. Après que les citoyens se furent opposés au projet dans une proportion de 73% (taux de participation de 70%), Rabaska a simplement déplacé son projet à Lévis, 300 mètres plus loin.
«Comment ne pas tomber dans le cynisme après ça? lance-t-il. Une population s'est prise en main, a tenu de multiples réunions, a créé un comité conseil, a organisé un référendum, a fini par rejeter le projet... puis le tout a été déplacé de quelques mètres à l'ouest!»
C'est en réaction à tout ça qu'Yves St-Laurent envisage, avec sa femme et ses trois enfants, de déménager en Italie, où il continuerait à travailler comme conseiller en publicité avec ses clients québécois. En réaction, aussi, à la culture du rendement qui le désole au Québec.
Il déplore par exemple que les enfants soient à l'école toute la journée puis que, une fois à la maison, ils doivent faire deux heures de devoir. Il déplore aussi le peu d'attention que l'on porte à la famille, au bien-être. Il déplore le peu d'écoute des citoyens, des entreprises.
«Je suis allé deux fois en Italie. Ce qui m'a le plus frappé, c'est que la priorité n'est pas le rendement à tout prix, comme ici. C'est beaucoup plus axé sur la qualité de vie. Je trouve qu'ici, on est un peu à côté de notre coche», ajoute-t-il.
Cela dit, contrairement aux apparences, Yves St-Laurent ne voit pas que des nuages à l'horizon. Il estime que, en raison des éventuels problèmes d'approvisionnement en gaz, Rabaska, dont la mise en service a été retardée de 2008 à 2014, ne verra tout simplement pas le jour.
Le problème, c'est qu'il n'y sera pour rien.
La bataille de Rabaska En salle dès le 5 décembre, Cinéma ONF à Montréal
François Cardinal /La Presse