(Paris) Alors qu'un sans-abri vient de mourir de froid à Montréal, six sont morts à Paris dans le dernier mois, provoquant l'émoi dans la population. À Los Angeles, la crise économique fait craindre le pire : de nouveaux sans-abri pourraient s'ajouter aux 73 000 que compte déjà la ville.
Depuis des mois, Jackie et une poignée d'amis sans domicile fixe (SDF) avaient choisi comme «repaire» les abords d'un petit supermarché du quatrième arrondissement de Paris, à un jet de pierre de la place de la Bastille.
Du matin au soir, ils sollicitaient les passants et engageaient avec qui le voulait des conversations rendues confuses par leur consommation très soutenue de bière. Puis, la nuit venue, ils partaient à la recherche d'un éphémère refuge.
Il y a deux semaines, le rituel a pris fin de manière tragique pour le Normand de 55 ans, retrouvé inconscient devant le commerce de la rue de la Cerisaie peu après 6h du matin. Les efforts des secouristes n'ont pu le sauver.
Quelques gerbes de fleurs fanées témoignent aujourd'hui de la mort tragique du SDF, qui était très malade, au dire de l'un de ses amis, de nouveau posté au lieu de rencontre habituel.
«Je le connaissais depuis 15 ans... Les pompiers l'ont amené à l'hôpital de la Salpêtrière, mais ils n'ont rien pu faire pour le sauver», explique-t-il, bouteille à la main.
Jackie est le sixième sans-abri trouvé mort dans la région parisienne en un mois. Les autorités imputent cette succession de décès, qui fait grand bruit dans les médias, au retour des temps «froids».
Devant l'indignation populaire, la ministre du Logement, Christine Boutin, a publiquement évoqué l'idée d'obliger les SDF à dormir dans les centres d'hébergement d'urgence lorsque la température descend au-dessous de -6°C.
Elle faisait écho au président Nicolas Sarkozy, qui avait «insisté» au Conseil des ministres sur la nécessité de faire quelque chose pour éviter que les gens «meurent de froid».
L'idée d'un placement forcé en centre d'hébergement a indigné les associations d'aide aux sans-logis, qui parlent d'une «grave régression» ou d'un «coup de com». L'organisation Droit au logement soutient que la mesure pousserait les SDF les plus réticents à «se cacher toujours plus loin, dans des conditions sanitaires toujours plus risquées».
Selon Emmaus, qui vient en aide aux défavorisés, on compterait actuellement entre 12 000 et 15 000 personnes en situation «d'exclusion extrême» dans la capitale française. La moitié d'entre elles seulement utiliserait les centres d'hébergement d'urgence, régulièrement critiqués pour leur malpropreté.
Face aux critiques, le premier ministre François Fillon, à l'opposé de la ministre du Logement, a assuré fin novembre qu'il n'était pas question de forcer les SDF à dormir où que ce soit.
Le président lui-même est revenu à la charge pour presser le gouvernement de trouver un «équilibre de bon sens entre les intégristes de la liberté et la mise d'office en centre d'urgence».
Retour au XIXe siècle
Le dossier continue depuis d'alimenter la controverse. Dans une lettre ouverte, le maire adjoint du 18e arrondissement de Paris, Gérard Briant, responsable de la «lutte contre les exclusions» dans ce quartier populaire, a dénoncé récemment une «polémique indigne».
«Quand les SDF meurent dans la rue et que les médias en parlent, il faut faire du bruit, toujours plus de bruit. C'est ainsi qu'on détourne l'attention de l'opinion publique», fustige l'élu.
Mme Boutin cherche, selon lui, à faire oublier une promesse de Nicolas Sarkozy, qui s'était engagé durant la campagne présidentielle de 2006 à ce que plus personne ne soit «obligé de dormir sur le trottoir et d'y mourir de froid».
Ce que le gouvernement propose, ajoute M. Briant, c'est de «revenir à l'enfermement des vagabonds dans les asiles, comme au XIXe siècle» en offrant un «mélange douteux de charité et de répression».
Dans les pages du quotidien de gauche L'Humanité, autre son de coche, celui du chercheur Stéphane Rullac, auteur de plusieurs livres sur le problème des sans-abri: «Le scénario se répète à l'envi: l'hiver arrive, les gens s'émeuvent de la situation des sans-abri et les politiques donnent l'impression d'un semblant d'activité pour mieux se relâcher le reste de l'année.» Selon lui, «l'interdiction pénale» du sans-abrisme est plus insupportable encore que la mort d'un homme dans la rue.
Mme Boutin n'en demeure pas moins convaincue de la nécessité de faire quelque chose pour venir en aide aux SDF en danger.
«Il existe en France la non-assistance à personne en danger. Ça relève du droit pénal... Moi, je veux la vie plutôt que la mort», explique-t-elle sur son blogue.
Marc Thibodeau / La Presse