Maintenant qu'il a réussi à faire suspendre les travaux du Parlement, le premier ministre Harper verra-t-il son deuxième rêve réalisé: voir la coalition PLC-NPD-Bloc imploser d'ici leur reprise, le 26 janvier? Une autre question se pose au terme de cette semaine folle à Ottawa: les attaques répétées des conservateurs contre les «séparatistes» auront-elles comme paradoxal effet de redonner du tonus au Parti québécois? Réponse lundi soir.
Le premier ministre Stephen Harper a remporté hier une première manche dans la féroce bataille que livre son gouvernement minoritaire aux trois partis de l'opposition à la Chambre des communes.
La gouverneure généra le Michaëlle Jean, rentrée d'urgence au pays mercredi soir d'une visite d'État en Europe de l'Est, a accepté la demande de M. Harper de suspendre les travaux du Parlement jusqu'au 26 janvier.
Le gouvernement minoritaire conservateur de M. Harper évite ainsi d'a ffronter un vote de confiance qui était prévu lundi prochain. Le Parti libéral et le NPD avaient l'intention de faire tomber le gouvernement et de proposer la formation d'un gouvernement de coalition soutenu par le Bloc québécois.
« Le publ ic est très frustré avec ce qui se passe au Parlement. Nous sommes tous responsables. Le public veut que nous proposions des choses là où nous pouvons trouver des consensus «, a affirmé le premier ministre au terme de sa rencontre avec Mme Jean qui a duré plus de deux heures.
Cherchant un peu à calmer les esprits passablement échauffés de tous les députés depuis que son gouvernement a proposé d'abolir, dans son énoncé économique, les subventions annuelles que verse l'État aux formations politiques, M. Harper a entrebâillé la porte en invitant ses adversaires à lui faire part de leurs suggestions en prévision du prochain budget.
Mais cette perche tendue visait surtout le Parti libéral et le NPD, moins le Bloc québécois. «J'invite les partis de l'opposition, tous les partis, mais surtout les partis qui ont une responsabilité dans le Canada tout entier, de travailler avec nous et de nous informer de leurs positions. Nous serons là pour écouter. C'est essentiel. Je pense que c'est le message que les Canadiens entendent livrer «, a dit M. Harper.
Il a aussi affirmé que son gouvernement consacrera tous ses efforts à rédiger le prochain budget, prévu le 27 janvier.
«Mon travail sera centré presque exclusivement à préparer le budget fédéral. Nous n'aurons pas le temps de faire autre chose «, a-t-il dit.
«C'est dans l'intérêt du PLC et du NPD de travailler à cela plutôt que de s'entendre à part avec le Bloc. Le Bloc a tous les droits légitimes d'être ici. Mais leur but n'est pas de travailler sur l'économie pour servir les intérêts majeurs du pays. Ils ont des intérêts différents. Ce n'est pas le programme de nos trois partis «, a-t-il ajouté.
Les trois partis de l'opposition ont fort mal réagi à la décision de la gouverneure générale d'accepter de proroger la Chambre jusqu'à la présentation d'un discours du Trône le 26 janvier.
Les trois chefs, Stéphane Dion, Gilles Duceppe et Jack Layton, ont accusé le premier ministre Harper de « fuir le Parlement « pour éviter la défaite de son gouvernement minoritaire la semaine prochaine.
Le chef libéral, Stéphane Dion, a réaffirmé que son parti n'avait plus confiance en la parole de Stephen Harper et qu'il prenait avec beaucoup de scepticisme l'invitation du premier ministre à travailler avec lui à la préparation du budget.
« Il s'agit de remplacer M. Harper, a lancé M. Dion en conférence de presse, à moins qu'il ne fasse des changements monumentaux.»
Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a promis pour sa part de tout faire pour «débarrasser le Québec de Stephen Harper» tout en rappelant que le gouvernement conservateur avait levé le nez sur les suggestions budgétaires présentées par sa formation politique au ministre des Finances, Jim Flaherty.
Il a qualifié d'«immorale» la prorogation du Parlement tout en disant «respecter» la décision de la gouverneure générale. «Nous sommes toujours prêts à appuyer la coalition», a-t-il aussi lancé.
Quant aux six semaines qui séparent les conservateurs du budget annoncé, M. Duceppe a estimé que Stephen Harper va les employer à «tenter de duper la population».
Jack Layton, le chef du NPD, a également réitéré sa foi dans la coalition PLC-NPD en déplorant que le premier ministre ait «mis le cadenas» sur la porte des Communes en des heures aussi graves pour la situation économique des Canadiens.
Bref, le message de l'opposition est on ne peut plus clair : Stephen Harper devra faire des miracles s'il ne veut pas être renversé lors du dépôt du budget à la rentrée.
M. Harper s'est présenté à la résidence officielle de la gouverneure générale vers 9h30. La veille, le premier ministre avait promis de prendre «tous les moyens légaux» afin d'empêcher le gouvernement de coalition proposé par le Parti libéral et le NPD, et soutenu par le Bloc québécois, de prendre le pouvoir.
La rencontre a duré plus de deux heures. Les trois partis de l'opposition avaient imploré Mme Jean de rejeter la requête sans précédent du premier ministre afin que le gouvernement Harper se soumette à un vote de confiance lundi prochain.
En matinée, hier, ils ont même fait parvenir à la gouverneure générale une pétition de 161 noms tous les élus de l'opposition moins les deux députés indépendants afin de lui signifier que M. Harper n'avait plus la confiance de la Chambre et qu'elle ne devrait pas accepter la prorogation.
De toute évidence, M. Harper compte sur l'implosion de la coalition au cours des prochaines semaines pour éviter la chute de son gouvernement lorsque les travaux de la Chambre des communes reprendront en janvier.
Le Parti libéral a tenu un caucus extraordinaire hier matin afin de discuter de sa prochaine stratégie. Le chef libéral, Stéphane Dion, et le chef du NPD, Jack Layton, ont également réclamé en vain une rencontre avec la gouverneure générale afin de plaider pour qu'elle rejette la demande de Stephen Harper de proroger le Parlement.
Mon travail sera centré presque exclusivement sur la préparation du budget fédéral. Nous n'aurons pas le temps de faire autre chose. Stephen Harper
En fermant le Parlement, Stephen Harper repousse de six semaines toute possibilité d'adopter un plan de relance de l'économie. Gilles Duceppe
L'appui à mon leadership est très fort pour les prochains mois. Stéphane Dion
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oël-Denis Bellavance /La Presse