«Si je pouvais remonter dans le temps...» dit Donna Jenne. Remonter avant l'arrivée des bûcherons dans la forêt patrimoniale de la terre familiale, à Dunham, récemment vendue à une scierie.
Le nouveau propriétaire, l'entrepreneur Sylvain Champigny, affirme qu'il ira de l'avant rapidement avec son projet d'abattage, une fois son permis municipal obtenu.
Le sujet déchire la famille Hall, établie dans la région depuis 200 ans. Après la mort de l'aîné, George, en 2006, la plupart des héritiers étaient d'accord pour vendre la terre.
Pas sa soeur Florence Hall, 86 ans, mère de Mme Jenne, qui détenait un quart de la propriété. Les deux femmes privilégiaient la conservation, par un don écologique.
Elles disent avoir été bernées, comme l'explique Mme Jenne: «Quand on a mis la ferme en vente, la compagnie avait fait une première offre. Ma mère avait refusé. Il n'était absolument pas question pour elle de vendre à une scierie. La deuxième fois, un an plus tard, l'agente immobilière nous a dit que l'acheteur voulait se faire un camp de chasse. On a appris la vérité seulement après: c'était la scierie qui était derrière. Depuis, on essaie de trouver des moyens de tout faire annuler.»
Sylvain Champigny dirige une scierie à Mansonville. Il reconnaît s'être servi d'un intermédiaire pour acheter la terre, au prix de 800 000$, après avoir essuyé un premier refus. «Il a négocié le terrain pour nous, dit M. Champigny. La famille était vraiment spéciale. Ils ne s'entendent pas entre eux. On passe du temps là-dessus et ça peut virer à rien.»
L'avenir de la forêt mobilise des organismes de conservation, qui ont tenté de l'acquérir, sans succès.
Dans la forêt Hall, les arbres - des pins, des érables, des pruches et des tilleuls - sont d'une taille très impressionnante. Leur âge pourrait atteindre 300 ans. Les scientifiques qui ont pu la visiter ont été impressionnés.
«Il y a des arbres énormes, dit Daniel Shaun, professeur de botanique à l'Université McGill. Le seul autre endroit comparable que j'ai vu était dans un secteur du mont Saint-Hilaire, mais en plus petit.»
«Avoir une forêt avec des arbres si vieux que ça, c'est invraisemblable, dit André Cyr, réputé professeur d'ornithologie à l'Université de Sherbrooke. J'ai vu des choses comme ça dans de rares forêts en Europe.»
En juin 2008, un organisme de conservation, Corridor Appalachien, a fait une évaluation écologique sommaire de la forêt de 126 hectares (les deux tiers du parc du Mont-Royal). «La valeur écologique de cette propriété est considérée élevée compte tenu de la présence d'espèces à statut particulier, du caractère peu fragmenté de la forêt et du faible taux de perturbations anthropiques (causées par l'homme)», concluent les auteurs.
Ce n'est pas du tout la vision de Sylvain Champigny. «La terre des Hall est une forêt qui est en train de dépérir, dit-il. Le bois est rendu à maturité. Il va tomber, il va pourrir et il va dégager des gaz à effet de serre. C'est pas très écologique.»
De son côté, la Ville de Dunham se défend de laisser détruire son patrimoine naturel. Le maire de Dunham, Marcel Poirier, a mis en place des mesures exceptionnelles. «L'ingénieur forestier de la MRC va examiner le plan de coupe et surveiller les travaux», dit-il.
Le règlement de Dunham permet une «coupe d'éclaircie» de 20% des arbres tous les 15 ans. Il permet aussi la «coupe de récupération» de bois «menacé de perdition» dans une forêt d'arbres «surannés».
C'est trop restrictif pour M. Champigny, qui plaide pour le côté économique de l'équation en parlant de ses 40 employés. Il dénonce le parti pris pour la villégiature et contre la foresterie qu'il détecte dans les règlements municipaux. «Ou la foresterie va carrément arrêter, ou le gouvernement va devoir s'en mêler», dit-il.
Mais pour Donna Jenne, la forêt Hall, avec ses vieux arbres, est le reflet des valeurs de sa famille. «Nous avons eu la terre par charte royale, du roi d'Angleterre. Nous y avons toujours pris juste ce dont nous avions besoin. Si on n'en a pas besoin, pourquoi le détruire?»
La coupe de bois a déjà commencé dans la forêt patrimoniale Hall, à Dunham, afin de tracer un chemin pour la machinerie lourde.
Charles Côté /La Presse