(Québec) Les travailleurs en grève des supermarchés Maxi accusent leur employeur de «mettre des bâtons dans les roues» à ceux qui tentent de se trouver un deuxième emploi pendant le conflit de travail.
Plusieurs syndiqués rencontrés au sein de deux piquets de grève cette semaine croient qu'un mot d'ordre a été donné pour ne pas les engager. Les travailleurs, en grève depuis le 22 octobre, essaient ainsi d'augmenter leur revenu hebdomadaire, puisque les allocations de grève qu'ils reçoivent sont insuffisantes (240 $ par semaine) pour subvenir à leurs besoins.
Quatre grévistes du Maxi Lebourgneuf s'étaient trouvé un emploi chez Viandes Surfines, un fournisseur de produits de viandes. L'un d'eux, qui a requis l'anonymat, a expliqué au Soleil qu'il avait travaillé pendant deux semaines et demie pour cet employeur, avant qu'on le mette à la porte, comme ses confrères.
Il affirme que la personne qui l'a congédié lui a clairement dit qu'il n'avait pas le choix de les renvoyer, pour ne pas perdre d'importants contrats avec la maison mère des Maxi. «Loblaws l'a menacé d'enlever les commandes qu'elle venait de passer», soutient l'homme. «Que l'employeur appelle pour dire : ?Écoutez, vous allez perdre le contrat si vous maintenez ces gens-là en emploi?, ça, je n'ai jamais vu ça», lance le président du syndicat, André Dumas. «On est en train de regarder avec les avocats s'il y a quelque chose à faire.»
Solidarité patronale
Contacté hier, le propriétaire de Viandes Surfines, Conrad Boivin, nie avoir reçu un tel appel de Loblaws. La chaîne ne serait pas un gros client non plus, selon ses dires. Il a congédié ces travailleurs dès qu'il a su que c'était des grévistes, précise-t-il. «Je suis en business, ça pourrait m'arriver à moi d'être en grève. Et je n'apprécierais pas que le monde engage (mes employés)», dit-il. Une sorte de solidarité entre employeurs.
La porte-parole de Loblaws n'a pas retourné les appels du Soleil hier. Mais selon Radio-Canada, la direction du groupe Loblaws a confirmé qu'elle procédera à une enquête interne relativement à cette affaire.
Mais ce cas ne serait pas le seul, selon les syndiqués. Gilles Fiset travaille depuis 25 ans au Maxi du boulevard de l'Ormière. Il raconte qu'il avait réussi à se faire embaucher par un supermarché pendant la grève mais qu'avant qu'il entre en fonction, son futur employeur a soudainement changé d'avis. Pour lui, il n'y a qu'une explication possible : son patron actuel a donné un coup de fil pour forcer la main du nouvel employeur. À peine a-t-il terminé sa phrase que ses collègues se mettent à parler en même temps. C'est arrivé à untel aussi, et à tel autre, disent-ils. «Les chaînes d'alimentation se sont donné le mot d'ordre», croit André Dumas.
Chez Sobeys (IGA), la porte-parole, Anne-Hélène Lavoie, explique qu'«on a suggéré à nos magasins de ne pas se mêler du conflit de notre compétiteur», ce qui implique entre autres de ne pas embaucher de grévistes.
Légal ou pas?
Ces façons de faire sont-elles légales? Si l'employeur exige, sous peine de sanctions pour ses fournisseurs, de congédier un salarié pour la seule raison qu'il exerce un droit qui est la grève, la démarche pourrait être illégale, estime Dominic Roux, professeur de droit à l'Université Laval, en se basant sur l'article 14 du Code du travail. «Et le préjudice est immense parce que c'est la liberté de travailler pour l'employeur de son choix qui est niée et violée», note-t-il. Par contre, si un employeur refuse d'embaucher des grévistes par principe, la violation du même article 14 est moins claire. Par ailleurs, les employés doivent aussi faire attention s'ils veulent travailler pour un compétiteur, puisqu'ils sont toujours liés par l'obligation de loyauté envers leur employeur, indique M. Roux. Les tribunaux ont par contre jugé que cette obligation était moins contraignante en temps de grève.
Les 800 grévistes de Maxi se battent pour une augmentation de salaire, mais aussi pour de meilleures conditions et horaires de travail, notamment pour les travailleurs à temps partiel. À Québec, le conflit touche sept magasins.
Anne Drolet /Le Soleil